Se déplaçant comme des ombres le long du rivage, ces loups cherchent un repas et peuvent nager des kilomètres entre chaque île pour se rassasier.
Une aventure réussite
Il y a quelques semaines, j’ai pu réaliser un rêve de longue date: partir à la recherche du mystérieux loup côtier dans la forêt pluviale du Grand Ours sur le territoire des Premières Nations Tsimshian en Colombie-Britannique dans l’ouest du Canada. J’ai partagé cette aventure avec mon compagnon de voyage photographe et ami Nicolas Lemieux, qui lui aussi rêvait depuis longtemps d’aller à la rencontre de cet animal emblématique de la côte Pacifique. On trouve ces “loups de mer” de l’extrême Sud-Est de l’Alaska jusqu’à l’Ile de Vancouver. Après un travail de recherche, nous choisissons une île déserte bien précise située dans la forêt pluviale du Grand Ours, qui semble encore épargnée par le tourisme et les activités industrielles. Cette région étant très souvent exposée à de grandes précipitations et de grands vents, nous profitons d’une accalmie pour quitter le continent dans notre petit zodiac d’à peine 5 mètres de long et bien chargé avec une semaine de vivre. Après quelques heures à travers la pluie le brouillard, nous voilà arrivé à l’extrémité de l’île. Nous nous préparons à débarquer sur une plage de sable de fin située au sein d’une petite baie que nous avons repéré sur la carte et qui semble être l’emplacement parfait pour y installer un camp de base. Je saute du bateau les deux pieds dans l’eau froide, et aussitôt un hurlement de loups se fait entendre. On s’avance doucement derrière les rochers pour observer de l’autre coté de la baie, et nous apercevons un groupe de quatre loups chanter ensemble sur la plage. Une première observation empreinte d’émotions et d’émerveillement. Notre bonne étoile nous a conduits dès notre première journée directement dans la gueule du loup. Nous installons alors notre camp sur la plage en lisière de forêt et passons quatre magnifiques journées à observer la meute et son mode de vie dans la baie avant d’aller explorer d’autres îles dans les environs. Cette baie est une zone stratégique pour la meute du fait de l’arrivée d’un petit ruisseau se jetant dans la mer attirant un bon nombres de poissons à marée basse, notamment les saumons pendant la période du fraie.
Une rencontre captivante
Il y avait cinq loups adultes et un louveteau de l’année constituant la meute. Le mâle dominant (ou mâle alpha) était blanc et bien plus imposant que le reste du groupe. Il ne faisait aucun doute que sa taille physique et son âge étaient des facteurs qui l’avaient établi en tant que leader de la meute. Mais sa position de domination n’était pas absolue. Bien qu’il ait une autorité incontestée sur la plupart des autres, sa compagne Scar (nous l’avons nommé ainsi d’après la cicatrice à son œil gauche), petite louve rouge, était également un membre influent de la meute. En tant que femelle dominante, elle fût la plus intrépide de tous.
Le deuxième jour, elle s’avança d’un pas sur droit vers nous sans aucune hésitation. En voyant la femme alpha s’approcher de nous, les autres membres se regroupèrent derrière elle pour la suivre prudemment et venir jouer de leur flaire au plus prêt pour nous examiner plus en détails. Étions-nous les premiers humains à fouler leur territoire et à s’immiscer au coeur de leur vie sauvage? Finalement à peine à 1 mètre de moi, Scar se figea pour mieux nous sentir tout en se léchant les babines, puis recula de quelques pas rejoindre la meute à l’arrêt quelques mètres derrière. Après nous avoir analysé puis classifié en tant que “bipèdes à surveiller du coins de l’oeil“, ils retournèrent en seulement quelques minutes vaquer à leurs occupations dans la vasière. Ce fût le seul instant que la meute nous honora de leur présence à une telle proximité. Nous passèrent les jours qui suivirent à les observer à distance aux jumelles, hypnotiser par les liens intenses et l’esprit régnants au sein de la meute. Nous n’osèrent plus les approcher de peine de les faire fuir de leur territoire et ne plus nous délecter de leur présence.
Une sous-espèce à part
Les loups que l’on trouve dans les forêts pluviales côtières de Colombie-Britannique, dans l’ouest du Canada, sont aussi uniques que leur habitat. Reconnu récemment comme étant une population distincte génétiquement des autres loups gris (canis lupus) de la province, cette variation côtière de l’espèce a été isolé dans cet écosystème maritime pendant des milliers d’années. Contrairement à leurs cousins de l’intérieur des terres, les loups des îles côtières sont entièrement voués à la mer. Leurs gènes le prouvent avec un ADN bien distinct des loups de l’intérieur du pays avec une taille plus petite. Les loups côtiers peuvent nager comme les loutres et pêcher comme les ours avec lesquels ils partagent la forêt humide.
Leur habitat est constitué d’îles, de bras de mer et de forêts pluviales, exposés aux rigueurs de l’Océan Pacifique Nord. Une caractéristique bien particulière du loup côtier est sa fourrure prenant souvent des teintes rougeâtres pour mieux se fondre sur le littoral sablonneux et couvert d’algues orangées. Il n’est tout de fois pas rare d’observer des individus complètement noirs. Leur territoire consistent souvent de plusieurs îles, les obligeant à affronter les marées et courants marins pour voyager d’île en île. Il est courant que certains loups nagent plusieurs kilomètres pour atteindre de nouveaux territoires.
Une diète spécifique
Lors de chaque marée barre, un buffet gigantesque rempli les vasières, riche en crustacés (palourdes, barnacles) et tout autres mets délicieux que l’océan peut venir déposer à terre. La diète des loups côtiers est souvent à plus de 75% de de sources marines. Elle est composée principalement de poissons, crustacés, oiseaux marins, baies, cétacés échoués, phoques, lions de mer, et dépendamment des régions de cervidés et castors. Les rivières et ruisseaux fournissent quand à eux une abondance de nourriture très riche pendant la saison de la fraie des saumons. Lors de cette période, tout comme les ours, les loups nourrissent à leur tour l’écosystème terrestre en traînant les carcasses de saumon dans la forêt, où cela nourrit d’autres espèces et fertilise le monde végétal. Cette resource marine riche en nitrogène aide à alimenter la croissance des arbres géants de la forêt pluviale.
Une menace de plus en plus grandissante
Contrairement aux autres loups à travers le continent américain qui ont été chassé intensément jusqu’à près de l’extinction, les loups côtiers de Colombie-Britannique ont prospéré jusque maintenant dans leurs régions isolées. Mais ils font désormais face à de nouveaux défis, les activités humaines menacent de plus en plus leur survie. La chasse au trophée, la déforestation et l’extraction grandissante d’autres resources naturelles réduisent leur nombre ainsi que leur habitat naturel. En Colombie-Britannique. uniquement, le gouvernement provincial estime qu’environ 1 200 loups sont tués chaque année à des fins récréatives (chasse et trappe). Pour lutter contre la chasse au trophée qui cible les loups côtiers, mais également les ours noirs et les cougars, l’association de conservation de la nature Raincoast en partenariat avec des clans Premières Nations sur place ont décidé de lever des fonds pour racheter tous les permis de chasses sur leurs territoires. Leur objectif est de posséder ainsi tous les permis de chasses délivré sur les 64 000 km² de la forêt pluviale du Grand Ours de ne plus y voir de chasseur de trophées.